(Paru dans LIBERATION le 1er décembre 2011 )
ET L’IMPÔT REVINT AU JEU…
Jean-Philippe Domecq*
Toute révolution, toute bascule de régime a pour levier le déficit budgétaire… Toujours, quel que soit le terme de l’époque. En 1788 le mot de la «crise» était «banqueroute»; la monarchie ayant creusé sa tombe budgétaire depuis que Louis XIV dispensait ses mannes à la noblesse pour la tenir à l’œil et improductive, il n’y eut plus de fond de tiroirs à racler, ne restait plus qu’à convoquer d’urgence les Etats-Généraux, seulement voilà: en échange d’une énième et radicale réforme de «l’assiette de l’impôt», le peuple, qui n’était rien, pourrait bien demander à être quelque chose et pourquoi pas des droits politiques… et là, c’était parti! L’Empire soviétique? Ce n’est pas tant sous la pression des peuples mis sous sa coupe qu’il a «éclaté», comme l’a cru la philosophie des pharmaciens, mais plutôt de l’intérieur, lorsqu’une élite communiste, les Gorbatchéviens, a compris, au vu de ce baromètre des civilisations qu’est la démographie, que la baisse de natalité et de l’âge de mortalité ne pouvait plus s’expliquer par la bonne vieille auto-caricature suicidaire dont s’enchantent les Slaves, mais par ce sentiment de faillite qui, de passé d’une illusion, était devenu l’horizon indépassable de l’économie communiste. Déjà à ses débuts le bolchévisme dut se payer par la réquisition et la répression, tout comme à sa fin l’Imperium Romanum qui ne pouvait plus financer ses conquêtes sur les seuls dîmes du Latium. Ce qui nous amène à la Grèce, notre berceau: et en effet, elle fut berceau de la spéculation, qui est philosophique autant que financière. Aussi les armateurs, incarnation grecque de la richesse, peuvent-ils expliquer que si on les taxe ils iront spéculer ailleurs, et le Pope son compère refuser l’impôt puisque l’Eglise est à tous «comme le stade de foot» (sic): avec cette rationalité vieille comme le populisme, le peuple grec, se lavant les mains de l’impôt, se retrouva fort moderne quand le credo qui marqua la politique mondiale ces quarante dernières années diabolisa l’impôt. Les penseurs nobélisés Friedman et Hayek (dont le titre majeur vaut son programme: Misère de la justice sociale) fournirent la base conceptuelle aux leaders conservateurs qui n’eurent plus qu’à jouer sur le velours de la démagogie économique: vous aurez la Sécu sans l’impôt, dites-donc, et les hôpitaux et les trains… Reagan chanta que les riches étant les plus entreprenants, les taxer serait les démotiver et affaiblir le pays; en vertu de cette même vertu entreprenante, Thatcher proportionna la taxe d’habitation non plus sur le standing du toit mais sur le nombre d’individus qui y logent; Pinochet fut d’une économie tout aussi modérée; et Chirac en 2002 y alla de sa bonne grasse promesse: 30% de baisse d’impôts! Les Français gobèrent la ficelle, irréaliste donc réalisée à 8%, et notre déficit dépassa les 3% fixés par les traités européens pourtant signés. La conséquence de cette idéologie ultra, c’est qu’il fallut bien compenser par la dette publique et le crédit individuel ce que l’Etat n’avait plus les moyens d’assumer. Que l’Etat-Providence ait des coûts démobilisateurs, c’est certain, mais le 180° en sens inverse n’a jamais été un signe particulier d’intelligence. Aujourd’hui le résultat est là, comme prévu dès les années de lancement de ce balancier idéologique qui maintenant frémit dans l’autre sens. Et l’autre sens, c’est quoi: c’est le sens originel de l’impôt, à savoir qu’en signant ma déclaration d’impôts je signe ma citoyenneté par mon investissement pécuniaire dans la collectivité. Tous, même les plus pauvres à raison d’un euro au moins, devraient payer cette signature civique. Voilà ce qu’il va falloir retrouver. Pas facile; mais, vu les dégâts commis, l’équité fiscale, qui est un marqueur de la gauche, pourrait bien montrer que nous avons devant nous désormais des efforts qui pourraient nous rendre heureux, loin des addictions consuméristes et de l’hystérie de la financiarisation qui, de toute façon, devait parachever et achever le capitalisme intempéré.
* A paraître le 2/2/2012: Cette obscure envie de perdre à gauche, éditions Denoël.

1 commentaire:

Unknown a dit…

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Julia-Nastasia